Tu t'aimes, toi?

On ne mesure pas la chance d'être ce que l'on est. Chaque être humain, même le plus minable d'entre eux, vaut dix mille tableaux de Cézanne, chacun pèse plus que toutes les villas toscanes de la terre.
Nous sommes parfaits, produit de millions d'années d'évolution dans tous les domaines. Chacun de nous est une cathédrale de cellules, un assemblement de cathédrales empilées savamment  pour reformer à chaque fois un modèle unique. Des courbures gracieuses, inventives, terriblement originales, à côté desquelles celles de la Pità ou celles du circuit du grand prix de formule un de Monaco méritent à peine d'être. Le nez, les pieds, les reins, les cheveux, aucun épithète imaginé par tous les écrivains de tous les siècles ne suffirait pour les décrire car ils seraient écrits par des hommes alors que notre chef-d'oeuvre corporel tient du mystique, de l'indicible, de l'ineffable! Les seuls hommes ayant approché cette pureté dans l'expression sont peut-être Lovecraft avec ses maux et sans doute Michelangelo qui de sa vie n'a cessé de chercher à combler le dernier écart subsistant entre les deux bras tendus de sa chapelle.
Mais si ce n'était que ceci! Non, car au-delà des considérations artistiques du corps du plus laid des hommes, le plus pauvre d'esprit nécessite lui aussi un requiem. L'âme, cet hologramme suspendu par la force de notre pensée, les émotions, les sentiments! Tout ça aurait besoin qu'on y attache l'attention constante de milliards d'hommes durant des millions d'années. Comment chacun peut-il renfermer en lui un trésor plus riche que tous ceux enfouis dans les Caraïbes? C'est tout simplement renversant, vertigineux, comment oser ne fut-ce que évoquer la grandissime grandeur de la construction qu'est l'esprit de chacun des hommes! Et s'il existe une différence de dix entre l'esprit le plus pauvre et le plus riche (qui ne sont pas ceux qu'on pourrait croire, les gens qu'on appelle pauvres d'esprit le sont rarement), ils commencent tous les deux avec un capital de plus de dix millions!
La collectivité n'existe pas, la société ou qui sait quel nom donné à un rassemblement d'esprit, non, chacun se suffit à lui seul dans la complexité (positive) qu'il est, mais peut-être que personne ne le sait.
Nous sommes tous parfaits.