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All the characters are fictional.
24 octobre 2008

Lettre à Liliane

"... et sous le sable sont enfuis dix milles trésors contenant tout l'or du monde."
Trop tard, il l'a écrite. Malgré les avertissements timides arrachés à son voisin, le petit Félix ne voit pas où il a fauté. Excité, énervé, angoissé, il se retourne frénétiquement et croise le regard de ses parents, dans le fond de la salle, qui lui font des clins d'yeux et lui lancent des pouces levés. Il essaye de demander encore, à son voisin, ce qu'il a écrit de mal, mais l'autre grogne un peu et s'enferme dans sa relecture. Félix a envie de pleurer, mais il sait qu'avec des larmes dans les yeux, il ne pourra pas relire la fin de son texte. Il essaye de se calmer en relisant les dix difficiles, mais rien n'y fait, il n'arrive pas à décider si un H se planque quelque part dans ataraxie. Il tentait de vérifier une dernière fois ses participes passés, surtout ceux conjugués avec le verbe avoir, il fallait se méfier des compléments d'objet directs ou indirects.
Mais déjà, il voit sa feuille rejoindre d'autres copies dans les griffes des surveillantes à lunettes à cordons, et se sentant complètement impuissant, il ne se lève pas de son siège molletonné, bloquant toute la rangée pour une minute supplémentaire.
Dans le hall d'entrée, ses parents le félicitent, parlent de la difficulté du texte, discutent avec d'autres parents de l'entraînement de leur enfant pour cette journée spéciale. Et, le pauvre, s'accrochant presque à la jambe de son petit papa, est comme tétanisé, il ne cligne plus des yeux et n'arrive pas à se rappeler ce qu'il à écrit, et surtout comment il l'a écrit.
Le quart d'heure le plus rapide de sa courte vie file et déjà, il retrouve sa place à côté de son voisin, rieur.
- Quatre fautes, que j'ai! Je les ai comptées, je crois que j'en ai fait seulement quatre!
Si lui aussi en avait fait quatre, c'était une catastrophe pensait-il... Il restait silencieux, se contentant de hocher la tête quand on lui posait des questions.
Le grand monsieur chauve blaguait avec la femme qui lisait les textes, une grosse sympa. Ils détaillaient les montagnes de cadeaux qui attendaient le futur petit veinard. Un vélo tout terrain, un voyage au ski, une télévision, ...
Il y en avait un qui n'avait fait aucune faute clamaient-ils! Plus tard, la grand-mère de Félix lui avait dit qu'à cet instant, elle était persuadée que c'était lui, qu'il avait gagné. Mais ce n'était pas lui.
Tout se passait mais Félix n'était plus là, c'était la première fois du haut un peu bas de ses onze années qu'il avait quitté son enveloppe charnelle. On annonçait les une faute, les deux fautes, les trois fautes, les quatre fautes (le voisin se leva d'un bond, lançant à Félix un "Tu vois!"), les cinq fautes (à ce stade Félix préférait ne pas devoir se lever et devoir affronter la honte sur scène, quand ses parents tenteraient de lui sourire malgré leur immense déception (après tout ce qu'ils avaient fait pour l'entraîner, c'était légitime!)).
Il les retrouva dans l'entrée, et il évita tant qu'il put leurs sourires et leurs paroles de réconfort puis éclata en sanglots, baissant la tête devant tous ces gamins qui le regardaient avec curiosité et avidité (il n'y a pas d'âge pour commencer à être friand du malheur des autres). Et puis là, son grand-père est arrivé. Le gamin se rappela du petit discours de victoire qu'il avait préparé, on ne savait jamais, dans sa tête sur le chemin pour Bruxelles. Il s'était promis de louer les conseils et recommandations de son grand-père, ça l'aurait rendu tellement heureux, il en était sûr. Emile (c'est le nom du grand-père) revenait de la salle des corrections et vit Félix reniflant ses fautes dans la robe de sa mère. Il le prit par les épaules et prit son ton sévère de directeur d'école primaire, un qui faisait obéir automatiquement, un qui faisait sentir le fossé qui existe entre un adulte et un enfant, pour lui dire.
- Et alors là, bonhomme, ça ne va pas ça! Il faut assumer. Tu as fait beaucoup trop de fautes, d'autres étaient meilleurs que toi. Allez, arrête de pleurer maintenant, tu dois accepter d'avoir raté. Ça ne se fait pas, cesse de pleurer!
Plus surpris par le ton qu'avait pris son grand-père, d'habitude doux et léger, que par ses paroles, Félix ravala d'un trait ses larmes et demanda à ses parents pour s'en aller tout de suite. Il jeta un dernier regard à l'Atomium au loin et monta dans l'auto et s'endormit sur-le-champ, allongé en position foetale sur la banquette arrière.
Voilà comment La dictée du Balfroid donna le coup de grâce à une enfance sur l'autel de l'Orthographe.

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